Vantant les atouts naturels qu’offre le bassin du Congo, ce député honoraire rappelle aussi l’importance de la constance de débit du fleuve Congo dans la construction des barrages sur ces sites
Par Yves Mitondo
Il faut la volonté politique pour que les moyens soient mis à la disposition de la Société Nationale d’Electricité (SNEL). C’est ce qu’a fait savoir l’Ingénieur Alexis Mutanda Ngoy-Muana, patron du groupe de presse La Tempête des Tropiques, au cours d’une interview accordée à plusieurs médias de la place le vendredi 9 octobre depuis ses bureaux du boulevard du 30 juin.
A cette occasion, cet ingénieur qui a eu à prester à la SNEL et à diriger pendant des années la direction des équipements du Projet Inga – Shaba, a rappelé les atouts naturels qu’offre le vaste bassin du Congo et pouvant amener la RDC à émerger en matière de production de l’énergie électrique sur le continent.
Pas hostile à l’option d’ouvrir le secteur de l’électricité aux privés
Pour la réalisation de Grand Inga, l’homme préconisé plusieurs étapes. Premièrement, il faut d’abord veiller sur et moderniser l’outil qui existe déjà. Deuxièmement, il faut négocier avec les grands consommateurs, par exemple, il y a des sociétés dans le monde qui fabriquent de l’aluminium, ce métal nécessitant une grande consommation d’électricité.
Si une de ces sociétés s’installe à quelques kilomètres d’Inga et produit de l’aluminium qui sera commercialisé à travers le monde, cela viendrait renforcer l’économie du pays. Cette piste nécessite un bureau d’étude qui appréhenderait le problème dans tous ses aspects. Il faudrait que l’on arrive d’abord à des solutions techniques, avant de s’en référer aux décideurs politiques. Il relève que les recettes de l’entreprise sont versées aux finances, avant de leur être rétrocédées. L’homme n’a pas rejeté l’option d’ouvrir le secteur de l’électricité aux opérateurs privés.
Les Congolais doivent être fiers d’Inga
Pour lui, les Congolais peuvent être fiers de ce projet parce qu’en cet endroit qui s’appelle Inga, le fleuve Congo fait des merveilles. C’est-à-dire que de façon tout à fait naturelle, le fleuve fait une boucle d’un rayon de plus ou moins trente kilomètres, avec un débit constant et très important.
A Inga, les eaux que l’on voit passer c’est la somme de toutes les eaux de la République, de toutes les rivières, de tous les ruisseaux, dans ce que l’on appelle le bassin du Congo. Toutes les rivières situées tant au nord qu’au sud de l’Équateur se déversent dans le Fleuve.
Selon l’ingénieur Alexis Mutanda, le débit du fleuve Congo est constant parce que lorsque au Sud de l’Équateur il y a la saison sèche, au Nord c’est la saison des pluies. Et vice versa. Ce débit constant constitue une donnée très importante dans la construction des barrages. Il y a également le fait qu’au niveau de la boucle du fleuve à Inga la dénivellation (la pente du cours d’eau) est importante, avec pour résultat la vitesse et le débit(le débit étant la quantité d’eau en mètre cube par seconde).
Dans ces vallées naturelles, les sites permettent d’être aménagés pour la construction de réservoirs permettant d’alimenter des centrales. Pour Inga I et Inga II on a profité de la vallée de Fuamalo, parallèle au fleuve. Aménagée en faisant dériver une partie du cours, cette vallée est devenue un bassin de retenue, avec en aval la construction de la centrale d’Inga I équipée de six turbines. En plus, avec l’augmentation des besoins en énergie, le bassin existant a été utilisé pour Inga II. C’est pour cela que la puissance installée d’Inga I et Inga II était beaucoup plus importante.
Grand Inga, plus de 40.000 mégawatts à atteindre
L’ingénieur Alexis Mutanda signale aussi qu’au stade final de l’aménagement d’Inga, le pays devait disposer d’une capacité de plus de 40.000 mégawatts installés, soient 40 millions de kilowatts. Pour lui cette capacité peut être installée par étapes, suivant les possibilités.
« On peut faire sur le plan technique, Inga III A, Inga III B, Inga III C. La nature de la configuration du site permettant de faire les choses par étapes, sans beaucoup de peine. En tant qu’un des artisans et donc témoin privilégié de la réalisation de la ligne haute tension Inga – Shaba, l’ingénieur Alexis Mutanda rappelle que les travaux de génie civil n’ont pas été extraordinaires.
C’est pour cela que l’on dit la puissance installée en mégawatt c’est le prix unitaire le moins cher au monde. Comparée aux autres centrales dans le monde, c’est une des puissances les moins chères, fait-il remarquer.
Selon lui, pour alimenter Kinshasa en énergie, il fallait outre la centrale, une ligne à haute tension, qui passe par Matadi, par Lukula et qui arrive à Kinshasa. La haute tension servant à transporter l’énergie sur de longues distances.
Des travaux de génie civil pas extraordinaires
Cette énergie à haute tension arrive dans un poste tension arrive dans un poste d’injection ou elle est transformée en moyenne tension pour pouvoir la distribuer à travers la ville. C’est pour cela que dans chaque quartier il y a des cabines de transformation.
A l’époque, rappelle l’ingénieur civil, les mines du Shaba produisaient à profusion des minerais de cuivre, cobalt etc…, nécessitant beaucoup d’énergie. Il avait été envisagé de recourir à la Zambie pour fournir cette électricité, mais Mobutu et ses conseillers ont choisi de privilégier l’énergie nationale, disponible à Inga.
Selon l’ingénieur Mutanda, à l’époque coloniale, les Belges connaissaient les potentialités du site, mais ils « n’étaient pas très chauds » pour se lancer dans cette entreprise. L’ingénieur explique le peu d’empressement des Belges par le fait que la ville de Léopoldville, l’actuelle Kinshasa, n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui.
Ensuite, avec ce projet, on pouvait alimenter le Bas-Congo, Bas-Zaïre à l’époque, mais il n’y avait que les villes de Boma et de Matadi où l’on pouvait déceler des consommateurs d’une certaine importance, ainsi que Banana et Moanda, avec le tourisme. Il y avait à l’époque la centrale de Zongo, qui tant bien que mal, pouvait satisfaire tous les besoins en énergie de la ville de Kinshasa et même une partie du Bas-Zaïre.
600 millions de dollars pour la ligne « Inga-Shaba »
C’est avec le développement de Kinshasa que le président Mobutu avec trouvé nécessaire d’aller vers ce projet gigantesque, qui pouvait se développer en étapes. Parmi la multitude des directions que comptait la société, l’ingénieur Mutanda était responsable de la direction des études des travaux, devenue par la suite direction des équipements.
Equipements voulant dire tout ce qui avait comme projet de production, c’est-à-dire tout ce qui concerne les centrales, car ce sont elles qui produisent. Il y avait également le transport, concernant la transmission de l’énergie d’un point à l’autre.
L’intervenant n’a pas manqué de préciser que la ligne était appelée abusivement « Inga-Shaba », alors qu’on aurait dû la dénommer « Inga-Kolwezi », car elle arrivait effectivement dans cette cité minière, chef-lieu de l’actuelle province de Lualaba, où le courant était injecté dans le réseau. La ligne HTCC a été mise en service le 24 novembre 1983 par le président Mobutu. Pour cette ligne, il fallait une technologie beaucoup plus sophistiquée, car entre Inga et Kolwezi, la distance est de 1.700 kms.
A l’en croire, pour financer cette infrastructure qui avait coûté quelques 600 millions de dollars, il a fallu recourir à des prêts bancaires internationaux, qu’il a fallu par la suite rembourser, suivant les conditions contractuelles.
Précision, il existait en fait deux termes, à savoir deux lignes identiques, distantes de quelques 40 mètres, de sorte qu’en cas problème, avec des sections (postes de manœuvre) à Kinshasa, Kikwit, Kananga et Kamina, de telle manière qu’en cas de pépins (pannes, poutres tombées etc…) on puisse passer sur l’autre ligne.
La question d’entretien de la ligne se pose
L’ingénieur Alexis Mutanda a aussi évoqué la question de l’entretien de cette infrastructure (poteaux, conducteurs, isolateurs…) de manière qu’il ne puisse pas y avoir de dégâts. La ligne a été mise en service en 1981-1982, soit plus de trente ans d’existence.
Ce qui veut dire qu’il faut procéder au remplacement du matériel. Il se demande si ce travail est fait, et si les moyens sont mis à la disposition de la SNEL pour que ces changements soient faits. La SNEL a-t-elle les moyens de suivre l’explosion démographique de Kinshasa ?
Rien que pour la commune de la Gombe, avec la construction des immeubles, il faut entretenir et remplacer tous matériels (câbles, cabines …). Et dans son propre quartier, où il habite depuis une trentaine d’années, il y a une quarantaine d’immeubles qui ont poussé, alors que la cabine est toujours la même.
Selon lui, ce problème se pose dans toutes les métropoles du monde, que ce soit à Bruxelles ou encore à Johannesburg. Il faut que les investissements suivent.
La RDC, un des pays les moins électrifiés du monde
Pointant du doigt la caractéristique de la SNEL, qui est une société d’Etat, avec deux tutelles, le ministère du Portefeuille pour la partie finances et le ministère de l’Energie, pour la partie technique, Alexis Mutanda se souvient d’une mission effectuée à travers le pays pour découvrir des sites aptes à accueillir des microcentrales. Les conclusions de cette mission avaient été remises à qui de droit. « Nous avons un des pays les moins électrifiés du monde ». Donnant l’exemple de Kananga, il signale qu’il existe une centrale à laquelle on pourrait ajouter quelques groupes électrogènes !
En outre, sur la ligne Inga-Shaba, au niveau de Kikwit, Kananga, Kamina, il était possible de faire des soutirages au niveau des postes de manœuvre. Il est possible de penser à d’autres villes comme Mbuji-Mayi qui n’est pas loin de Kananga. Encore faut-il que la ligne soit bien entretenue.
L’ingénieur se rappelle aussi qu’à l’époque où il travaillait à la SNEL, au niveau du poste de Bandalungwa, ils avaient construit une ligne qui traversait le fleuve Congo et alimentait la ville de Brazzaville. Il semble que les Congolais d’en face se sont organisés en construisant un barrage hydroélectrique. A l’Est du pays, il y avait la ligne Katana-Goma.
Un ingénieur issu des humanités gréco-latines
Pour rappel, l’Ingénieur civil électricien Alexis Mutanda Ngoy-Muana a fait ses études primaires à Lusambo, avant de poursuivre son cursus scolaire à l’école secondaire au Petit Séminaire de Kabwe. Ses humanités gréco-latines, il les fit au Sud-Kasaï, actuel Kasaï Oriental. En 1962, il s’inscrit en polytechnique, à l’Université Lovanium, « à l’époque où Monseigneur Gillon était Recteur magnifique de cette Université ».
A sa sortie de cette alma-mater, le jeune Alexis Mutanda se fait engager dans ce qui deviendra plus tard la Société Nationale d’Electricité (SNEL). A l’époque il existait une structure qui fournissait la capitale en énergie électrique, à partir de l’actuel Kongo Central. C’est justement vers 1970-1971, avec le début du projet Inga, que la Présidence de la République, avec son cabinet, avec la pression de certains hommes d’affaires, avait pensé à créer la SNEL.